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Fermeture de 1724 unités industrielles en Guinée: Entre volonté de régulation, effets systémiques et exigence d’accompagnement?

Dans la nuit du 17 juillet 2025, le ministère du commerce, de l’industrie, des petites et moyennes entreprises a annoncé, par voie d’arrêté lu à la télévision nationale, la fermeture de 1724 unités industrielles sur l’ensemble du territoire national. Cette mesure, décidée à l’initiative du ministère en charge d’un département récemment scindé dans le cadre d’une réforme de l’appareil gouvernemental, marque une rupture nette avec la permissivité qui a longtemps caractérisé le paysage industriel guinéen. Ainsi, l’analyse de cette décision portée par la ministre actuelle Dr. Diaka Sidibé appelle une lecture à plusieurs niveaux: réglementaire, économique, social et politique.
En premier lieu, les motifs invoqués par l’administration sont d’ordre légal : exercice illicite d’activités industrielles et retrait de leurs produits sur le marché. Derrière cette mesure, on peut lire le défaut d’immatriculation, l’absence d’agrément, le non-respect des normes hygiéniques, environnementales, sanitaires et fiscales. Des maux longtemps entretenus par les administrations précédentes pour des raisons d’intérêts. Donc, il fallait y instaurer de l’ordre.
Pour le département du commerce, de l’industrie et des PME, la prolifération d’unités hors cadre légal mine à la fois la sécurité des consommateurs, l’équilibre de la concurrence et l’économie nationale. Cette décision vise donc à rétablir l’ordre, à faire prévaloir la règle du droit et à envoyer un signal fort à l’ensemble des acteurs du secteur. Comme pour dire que désormais, seule l’industrie légale et conforme aux exigences réglementaires aura droit de cité. Ce qui reste un défi majeur à relever dans un pays comme la Guinée.
La posture de fermeté s’inscrit dans une dynamique de réorganisation du secteur industriel, dont les failles sont bien connues : la prolifération de structures informelles, l’absence de contrôle effectif de qualité, la concurrence déloyale, l’évasion fiscale et la présence de produits non certifiés sur nos marchés. À cet égard, l’action du gouvernement peut être lue comme un acte de gouvernance visant à restaurer l’autorité de l’État, sa vigilance à sa volonté de sortir le secteur de l’anarchie.
Cependant, une telle réforme produit des effets systémiques, parfois imprévus, surtout si en amont il n’y a eu pas de campagne d’information et de sensibilisation, donc de pédagogie. La fermeture soudaine d’un millier d’unités industrielles ne saurait être sans conséquences notamment sur l’emploi, les revenus des ménages, la production locale et l’équilibre des chaînes de valeur.
En effet, de nombreuses unités locales faisaient travailler directement ou indirectement des centaines et des milliers de personnes, dans un pays où le tissu économique repose largement sur des structures informelles. Une telle mesure sans accompagnement peut aggraver la précarité des travailleurs. Un aspect souvent sous-estimé dans l’approche réglementaire concerne la sous-traitance, un maillon invisible; mais fondamental de l’économie industrielle. Certaines unités industrielles suspendues, s’appuyaient sur un réseau de prestataires : transporteurs, logisticiens, fournisseurs de matières premières, entreprises de conditionnement, services techniques, et distributeurs. Ces structures, souvent informelles mais actives, se retrouvent aujourd’hui en situation de vulnérabilité. Leur sort mérite une attention particulière, car elles constituent le prolongement fonctionnel des industries et sont à l’origine de nombreux emplois directs et indirects.
D’un point de vue stratégique, l’encadrement de la sous-traitance pourrait devenir un levier d’assainissement et de structuration. Plutôt que d’abandonner ces acteurs à leur sort, le gouvernement devrait transformer sa décision en opportunité de réforme, en instaurant un cadre légal spécifique à la sous-traitance, fondé sur la transparence et la formation. Un appui ciblé à leur formalisation, via des mécanismes incitatifs ou des guichets d’accompagnements, permettrait de préserver l’essentiel du tissu productif tout en renforçant les exigences de conformité à venir.
L’efficacité de la décision gouvernementale repose donc sur sa capacité à s’inscrire dans une logique globale. L’action réglementaire, aussi justifiée soit-elle, ne peut produire d’effets durables sans une stratégie d’accompagnement. Cela implique la mise en place de procédures de régularisation pour les unités fermées, mais régularisables ; des dispositifs de reconversion pour les travailleurs affectés ; un soutien transitoire aux sous-traitants légitimes ; le renforcement des capacités des administrations sectorielles pour assurer un suivi équitable et rigoureux ; enfin, une communication claire et continue afin d’éviter la désinformation et toute manœuvre d’instrumentalisation politique.
Cette décision s’inscrit également dans un moment politique particulier, celui de la transition en cours, où l’État cherche à se repositionner comme seul acteur de régulation, garant de l’intérêt général et promoteur de l’économie formelle.
L’opération menée pourrait ainsi renforcer l’image de l’autorité publique, si elle est conduite avec cohérence, justice, pédagogie et transparence. À défaut, elle risquerait d’être perçue comme une action brutale dépourvue de portée sociale et sélective, ce qui en affaiblirait sa crédibilité et sa légitimité.
Pour finir, la fermeture des 1724 unités industrielles représente un moment charnière dans l’histoire économique récente de la Guinée. Elle peut inaugurer une nouvelle ère de régulation, de structuration et de professionnalisation du secteur industriel. Mais elle ne produira ses effets vertueux qu’à condition d’intégrer une lecture systémique des réalités économiques, de prévoir des mesures concrètes d’accompagnement pour les sous-traitants et les travailleurs, et de construire un cadre institutionnel capable d’assurer le suivi, la médiation, l’équité et surtout de prioriser un cadre de dialogue inclusif et sincère avant l’exécution de toute mesure de fermeture. C’est à cette condition d’ouverture que cette opération, à la fois, administrative, technique et politique, pourra véritablement servir de transformation structurelle de l’économie guinéenne.
N’Faly Guilavogui
Journaliste Éditorialiste politique
Analyste politique, Mastérant en Com Politique et Publique

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